LES 2 PREMIERS CHAPITRES :
TOURNE LA POIGNEE, BEAULIEU !
Chapitre 1 : Le dix novembre 2010, dans la région de Metz…
Une grosse BM noire vient de se pointer, c’est lui, enfin ! Des heures que j’attendais ça en planquant sous un froid mordant…
Il stoppe sa caisse à proximité du hangar et sort prudemment en jetant des regards furtifs aux abords. Méfiant l’animal, mais cette fois mon joli, c’est moi qui joue avec un coup d’avance !
D’où je suis, je bénéficie d’une vue parfaite sur la suite des évènements, laquelle va clore une délicate mission ayant duré quatre longs mois à bosser en sous-marin pour piéger cet enfant de pute.
D’un seul coup les choses se précipitent. Deux hommes viennent de sortir du hangar et se dirigent vers « mon » zig, lequel a à peine le temps de piger qu’il est déjà passé du stade d’ennemi de l’Etat à celui de … cadavre ! Ceci fait, les « exécutants » retournent à l’intérieur comme si de rien n’était…
Malgré moi je me surprends à esquisser un léger sourire, même si la mort d’un type – aussi pourri soit-il - n’a rien de réjouissant. T’es choqué ? alors sache que cet enfoiré a flingué de sang froid une bonne vingtaine de personnes pour piquer les plans d’une nouvelle arme « top secret » et les refiler à un réseau terroriste particulièrement actif, juste pour… une simple question de pognon ! Voilà qui relativise, non ?
Pour l’instant tout se déroule comme prévu. Je me retourne sans bruit vers celui qu’on nomme Mario dans le milieu pour le « top action » C’est un caïd respecté un peu partout en Europe, un type à l’ancienne qui a toujours respecté les règles avant d’imposer les siennes. Habile et pro comme pas deux, il est toujours passé au travers des mailles du filet, au grand damne des services d’élite qu’ont jamais réussi à le pincer. C’est lui qui m’a « introduit » : un deal pour accomplir une vengeance, genre d’alliance improbable mais nécessaire où chacun y trouve finalement son compte. Comment j’ai réussi à l’approcher ? Trop long à t’expliquer…
Ils ne sont que deux, du gâteau pour un type comac !
Mario sort de sa planque très calmement. C’est con mais l’admire, ce gus ! Déjà du fait du plan machiavélique qu’il a mis au point pour monter « clients » et « vendeur » l’un contre l’autre sans jamais intervenir directement, le rôle qu’il m’a attribué dans tout ça et maintenant cette attitude : on dirait un père tranquille qui va aux champignons, genre de maîtrise de soi qui fait froid dans le dos !
La soixantaine pourtant bien tassée, ce « parrain » a encore un corps d’athlète : c’est un ancien boxeur dont on dit de lui que s’il avait choisi le sport comme profession, y en aurait qu’auraient eu du soucis à se faire… Mais Mario savait déjà, baignant dans le milieu depuis toujours, quel serait son destin : ses origines siciliennes, sa famille, tout le prédestinait à se faire un nom dans l’entreprise du crime. C’est à la force d’une volonté sans faille et de son flingue qu’il s’est rapidement imposé comme LE patron… S’il avait été du bon coté, j’en aurais volontiers fait un coéquipier de premier choix et révisé ma politique de bosseur solitaire, foi de Beaulieu !
Mais trêve de bavardage, l’heure est à l’action : flingue en main, je couvre Mario dans sa progression jusque la porte principale. La configuration des lieux ? Vingt bons mètres nous séparent du hangar qu’il faut parcourir à découvert. Deux entrées : celle sur le devant par laquelle sont passés nos deux hommes et une petite porte latérale. Aucune fenêtre, heureusement. Le plan est de jouer de l’effet de surprise en créant une diversion permettant à mon « partenaire » d’intervenir.
Une fois Mario en place, je me dirige silencieusement vers la petite porte. Comme prévu, elle est fermée. Me reste plus qu’à sortir mon « ouvre tout » en prenant garde de me positionner derrière le bâti. J’introduis l’outil dans la serrure avec précaution : de la précision de mon geste va dépendre la suite des évènements…
Clic-clac, open ! un quart de seconde : c’est le temps imparti pour tourner la clenche et ouvrir la lourde avant le lâcher de pruneaux qui va logiquement me souhaiter la bienvenue !
Tu sais quoi ? J’ai bien fait car c’est un véritable festival de plombs qui accompagne immédiatement un barouf digne d’un départ de GP, les loufiats ayant sorti l’artillerie lourde. La porte est en miette ! Mais je perçois d’autres détonations un peu différentes puis… plus rien : Mario qui vient de finir son taf…
Je passe la tête prudemment. Une forte odeur de poudre me prend les narines. Dans le hangar, à quelques mètres de moi, deux formes inertes au sol que je distingue au travers de la fumée ayant envahie le local.
Progression prudente vers les deux gus. De l’autre coté du hangar, Mario me fait signe que tout va bien d’un signe du pouce, puis il s’avance lui aussi.
Je m’approche du premier type au sol et éloigne son feu d’un coup de pompes. Un rapide coup d’œil me renseigne sur le fait qu’il a avalé son bulletin de naissance d’un pruneau pile dans sa tronche d’enfoiré. On t’a déjà causé du sixième sens poulardin ? Un truc irrationnel mais qui m’a déjà sauvé la mise à de nombreuses reprises. C’est une sorte de petite sonnette intérieure qui grelotte dès que se présente un danger, en l’occurrence le deuxième gus : instinctivement j’ai braqué mon flingue vers lui avant même qu’il ne commence à bouger pour sortir le sien en direction de Mario qui n’a rien vu…
Une neuf millimètres bien placée vient aussitôt interrompre son geste en même temps que sa vie terrestre. Fin de l’histoire !
Enfin…, pas tout à fait : je sors rapidement des lieux et me mets à fouiller le premier type abattu par les deux autres. Bingo ! Cette espèce de petit tube en métal que je tiens dans la main est à l’origine de ma présence ici. Reste plus qu’à vérifier la présence du fameux document codé à l’intérieur. Re bingo !
J’enfouille très vite ma précieuse trouvaille et me tourne vers un Mario souriant, presque sympathique.
- Bon, lui dis-je en répondant à son sourire, c’est ici que nos chemins se séparent…
- Exact. T’es un drôle de bonhomme, commandant Beaulieu !
L’homme parle peu et jamais pour ne rien dire. Venant de lui, je prends ça pour un compliment. On se regarde longuement sans un mot. C’est inutile et suffisant. Nous ne sommes pas du même bord et peut-être qu’un jour on se retrouvera l’un contre l’autre. Je reprends en guise d’adieu :
- Je te laisse faire le ménage, Mario. Moi, mon boulot est fini. Au fait…, t’es pas mal aussi dans ton genre…
J’ai tourné les talons et suis retourné vers la ZZR qui m’attendait un peu plus loin. A peine avais-je fait quelques pas qu’il m’a lancé :
- Je te dois une vie. Où tu veux quand tu veux…
En guise de réponse, j’ai simplement levé la main sans même me retourner.
Avant de grimper sur la bécane je décroche mon cellulaire codé pour la toute dernière phase de cette mission.
- Monsieur le président ? C’est fait…
- Bien joué Beaulieu ! Pas de traces ?
- Il fait le nettoyage et on peut lui faire confiance.
- Parfait ! Alors je vous attends à l’annexe…
Cette fois, c’est la bonne, en selle Pierre ! Cet instant, je l’attendais depuis pas mal de temps déjà. Contact, petite pression du pouce droit, je savoure quelques minutes ce moment en en grillant une tandis que le quatre cylindres chauffe sur sa latérale, les pieds sur les cale-pattes. Dans quelques heures je vais retrouver Pat’ que je n’ai pas vu depuis le début de cette affaire…
Aller, fini de traîner, Paname c’est pas la porte à coté ! J’ajuste la jugulaire du casque puis mes gants. Première, Gaaaz !!!
J’ai hâte de prendre une bonne douche, de retrouver figure humaine et… décompresser en compagnie de celle que j’aime, devant déjà m’attendre dans cette chambre d’hôtel mise à notre disposition aux frais de la république !
Sur le chemin du retour je repense à cette alliance impossible avec un parrain de la pègre. La tête du chef de l’Etat – que je tenais informé au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête – quand je lui ai annoncé ça… En fait, il me fallait l’aide de Mario pour une couverture et lui avait besoin de moi, ayant déniché le type qu’il cherchait depuis des mois. Echange de bons procédés, quoi ! La petite histoire ? Le fils cadet du caïd s’était fait dessouder par un des deux types du hangar, s’étant acoquiné maladroitement avec le réseau terroriste… client de ma « cible ». Dans ce monde là on règle toujours ses comptes et à n’importe quel prix, même en pactisant avec l’ennemi. Seul compte l’honneur et on ne touche pas à la famille sans en mesurer les conséquences. Mario m’a filé un sacré coup de main en m’aidant à piéger mon type pour que je puisse récupérer les fameux plans. Bien-sûr, je prenais le risque d’être doublé, mais il avait la réputation d’être un homme de parole, m’ayant donné la sienne en échange de ma loyauté à son égard. C’était quitte ou double mais l’enjeu trop important pour ne pas prendre ce risque. Au final j’ai eu raison.
Pour cette mission j’avais décidé d’utiliser la ZZR, rapatriée en France par avion spécial. L’idée d’utiliser la F4 m’avait effleuré, mais vu les longues distances à parcourir et le matos à transporter, la grosse Kawa était plus indiquée. Puis, de toi à moi, cette meule commence à me plaire vraiment au fil des bornes à son guidon. Le moteur est maintenant bien libéré et pousse comme jamais ! J’ai fait installer un amorto WP à l’arrière ainsi qu’un kit fourche plus progressif par les ténors des ateliers du ministère et peux t’assurer que la brèle bronche pas gaz en grand et vire désormais dans un mouchoir de poche. Bien-entendu, dans la technique ma F4 sera plus efficace, mais au prix d’une attention de tous les instants alors que la 1400 donne l’impression d’avoir perdu une bonne trentaine de kilos dans l’affaire !
A peine le temps de m’arrêter deux fois pour ravitailler que déjà je suis aux portes de Paris. C’est incroyable ce qu’une bécane puissante semble raccourcir les distances !
Aller, je file à l’Elysée remettre les plans au Taulier puis… direction l’hôtel Crillon, juste à quelques pas ! Si, si, t’as bien lu…
La moto est restée aux ateliers histoire de se faire refaire une petite beauté après les quatre mois de roulage, et elle en a bien besoin. Je sais qu’ils vont me la bichonner.
La tronche du gus en rouge à l’entrée quand il a vu entrer dans cet établissement particulièrement select et fierté de la France un… motard, sale et pas rasé ! Aussitôt une cohorte de gorilles s’est précipitée vers moi sous l’œil courroucé de la clientèle V.I.P. présente dans le hall, histoire de virer ce « perturbateur » commettant le crime de pousser la porte d’un monde n’étant pas le sien !!!
Même en sortant ma brème de flic, y a fallu que je me montre particulièrement persuasif pour bien leur faire admettre que le client de la suite 422 c’était bien cette espèce de clochard alias le gars mézigue en personne ! Un coup de grelot à l’intendance de l’Elysée plus tard, pour vérifier, et… l’attitude fut soudainement et miraculeusement (amen…) toute différente. Restaient les fameux clients offusqués pour lesquels le pauvre personnel fut dans l’obligation de trouver illico une parade au scandale – désolé, m’sieurs dames ! – et j’ai enfin la voie libre pour emprunter l’ascenseur menant à MA suite… plié en quatre ! C’est marrant comme le fric peut mener à la suffisance et par-là même à l’étroitesse d’esprit. La véritable richesse n’est pas dans un porte feuille…, mais ça « ils » ne le sauront jamais !
Chapitre 2 : Quelques heures de détente…
Elle est là, juste derrière la porte… Je ne l’ai pas fait prévenir : il était convenu que lui soit délivrée une chambre pour aujourd’hui sous prétexte d’une mission urgente, seule solution plausible pour lui faire cette surprise. Un avion avait spécialement été affrété pour la rapatrier en France. Quatre mois en silence total avec les risques liés à ce boulot, l’Etat nous devait au moins ça, non ? De plus, c’était la première fois que nous remettions ensemble les pieds dans l’hexagone depuis notre installation tout là haut au pays des pingouins, il y a déjà… deux ans de ça.
Revoir notre pays, nos parents et amis…, il existe des moments dans la vie – même si celle-ci nous convient à merveille – où le besoin de retrouver ses racines se fait sentir. Je sais que Pat’ a un peu la nostalgie de son récent passé mais il est vrai qu’entre nos missions et les mille habitudes prises dans nos nouvelles contrées, il nous est matériellement difficile de faire la route en sens inverse. Je le redis, elle et moi sommes heureux ainsi. Cette façon de vivre nous ressemble. Mais même si jamais elle n’en a fait allusion, je sais au regard de Patricia que parfois sa famille lui manque. Il y a des contreparties au bonheur qu’il faut savoir accepter… Nous avons choisi d’être des espèces d’aventuriers au service de l’Etat ainsi que cette expatriation si loin de chez nous, alors c’est notre prix à payer. Hein, tu dis quoi ? J’ai égratigné le héros, c’est ça ??? Ben oui mon gars, un flic – même d’élite – reste avant tout un être humain. Soit pas déçu, ça change strictement rien au personnage…
Mais si tu le permets, trêve de bavardage : j’ai trop hâte de retrouver celle que j’aime !
Top action…
J’insère la carte doucement. Clic ! La porte s’ouvre. Maintenant, le plus duraille reste à faire : pas se faire repérer pour jouer de l’effet de surprise. Là, c’est pas du gâteau because Pat’ est un agent surentraîné et se laisse rarement prendre à ce petit jeu. Je reste un instant immobile derrière la porte en guettant le moindre bruit : nobody dans la pièce principale. J’avance très lentement. Heureusement, l’épaisse moquette au sol couvre parfaitement le bruit de mes pas. Deux solutions s’offrent à moi : chambre ou salle de bain ? Vu le silence qui règne, je penche plutôt pour la première solution. m***e, ça m’agace ! T’es d’accord avec moi que quand une personne se trouve à l’intérieur d’un appartement, elle finit toujours par trahir sa présence à un moment ou à un autre, non ? Là, que dalle ! A croire qu’elle n’est pas ici, ce que pourtant je me suis assuré à l’accueil ! Reste plus qu’à en avoir le cœur net. Je saisis la poignée de porte et ouvre vivement cette dernière en effectuant un véritable saut de cabri à l’intérieur de la pièce. Pat’ n’est pas sur lit comme je m’y attendais… !
A peine le temps de me retourner que je sens un objet dur et froid se coller contre ma nuque. En un instant j’ai pigé : Beaulieu, tu viens de te faire piéger comme un bleu !!! Dans ce boulot, faut toujours être sur ses gardes, mais je ne pensais pas que là, en retrouvant simplement ma femme…
Qui, pourquoi ? Bon, on verra ça plus tard. Pour l’instant j’ai un calibre qui me tient en respect avec un gus derrière qui, visiblement, n’est pas là dans un but amical. J’attends la suite, ayant au moins droit à ça, non ? Là, ça cloche : mon type moufte pas un mot. Un ange passe…, et pas pressé, l’animal ! La patience n’étant pas ma qualité principale, je me décide à lancer l’offensive, un poil agacé :
- C’est bien beau de tenir un mec au bout de feu, monsieur « qui que vous soyez », mais on va pas jouer à ça toute la journée, hein ? Ensuite, généralement, on demande de lever les mains, ce que je vais faire de suite pour gagner du temps, si vous me le permettez…
Là, faut joindre illico le geste à la parole : première règle pour tenter de prendre la main. Aussitôt je sens une pression supplémentaire de l’arme et une main agile me dessaisir prestement de mon flingue toujours à la hanche, ce qui interrompt mon geste immédiatement. Visiblement, j’ai pas affaire à un enfant de cœur ! Va falloir trouver autre chose, et vite…
Je pige de moins en moins ! Personne à part le président et ses proches ne savaient que nous étions ici. Nous agissons toujours dans l’ombre, toujours en couverture. Il est matériellement impossible que je me retrouve dans la situation présente. Et ce gus qui s’obstine à me tenir en respect sans causer, il attend quoi ?
Tant pis, quand faut y aller…
Le truc est de bouger aussi vite la tête que le geste de la main devant se saisir de l’arme de l’adversaire. Dans le même temps, effectuer un rapide demi-tour en le bousculant du torse pour le déséquilibrer. Ne pas oublier ce petit mouvement du pied qui va le faire trébucher si la manœuvre est parfaitement bien synchronisée et exécutée. Pas sans risque cette technique, longuement répétée en salle d’entraînement, a fait ses preuves. Elle s’exécute en trois dixièmes de seconde, chrono en main. Après t’es mort !
Je me concentre pour bien me préparer, surtout ne rien laisser paraître de ce que je vais tenter. L’effet de surprise sera bref et je n’ai droit qu’à un seul essai. Prêt ? Gaaaz !!!
Dommage que je ne puisse pas me voir car mon adversaire n’a même pas le temps d’esquisser le moindre mouvement qu’il est déjà au sol, son arme dans ma pogne ! Net et précis, en un mot… une prise magnifiquement réussie ! La tronche du gus… ?
Mais…
- Alors commandant Beaulieu… ? Pour la discrétion, c’est pas encore ça, monsieur le super flic !
Patricia !!!!!!!!!!
Mon rire succède au sien en écho. La pression tombe soudain, laissant place à l’émotion. Je la prends dans mes bras pour la pelle du siècle ! Sacrée bonne femme, si tu savais à point tu m’as manquée…
A vrai dire, jamais encore nous n’avions été séparés aussi longtemps. Cette mission, c’est seul que je devais la réaliser. On a beau être préparé à ça, quatre longs mois loin de celle qu’on aime, ça devrait pas être autorisé dans le règlement des agents spéciaux de l’Etat ! Pour un peu, je reprendrais presque mon ancien statut, mon bureau, mes hommes, mes… L’idée de cette vie passée, rien que d’y songer, non merci ! C’est Martini qui avait raison : je nage comme un poisson dans l’eau dans ce nouveau job.
Martini…, un bail aussi que je l’ai pas vu, cet animal ! Par obligation professionnelle, pas possible de donner de mes nouvelles depuis là-bas. Va falloir que j’en profite pour passer le voir.
Mais pour l’instant, je savoure le fait de pouvoir prendre de nouveau Pat’ dans mes bras : sentir sa bouche, son corps, son odeur… Si le bonheur existe, c’est lui que je touche du bout des doigts en l’instant présent !
En parlant d’odeur…, voilà qui me fait penser que ça fait lulure que j’ai pas karchérisé le bonhomme et ton gars Beaulieu commence à sérieusement sentir le bouc faisandé ! J’exagère, mais à peine… Une bonne douche et des fringues propres plus loin, nous voilà déjà dans de confortables draps soyeux au fond d’un lit digne d’un véritable palace, ce qui tombe bien vu que c’est exactement le cas présent ! Remarque, à cinq mille dollars la nuit, c’est la moindre des choses, non ? Salle de bain avec baignoire XXL et jacuzzi, grand écran au mur, gigantesque terrasse donnant sur l’intérieur de l’établissement, confortable salon avec bar… et tout ça aux frais du contribuable ! J’en ai presque honte en ces temps de restriction. Quoi, tu veux ma place ? Risquer REELLEMENT ta vie tous les jours dans tous les coins sordides du globe sans aucune reconnaissance autre que celle du devoir accompli pour ta nation ??? Ce boulot, c’est un engagement total qu’il exige, et aucun état d’âme. Un véritable sacerdoce uniquement fait pour quelques cinglés dans mon genre ou celui de Pat’…, avec qui c’est parti pour une longue, longue nuit d’amour, comme si c’était la première fois. Jusqu’ici nous n’avons pas encore parlé ou très peu, savourant et fêtant simplement le fait d’être à nouveau réunis dans un joyeux feu d’artifesse de tous les diables ! J’espèce que les piaules sont bien insonorisées sinon va falloir encore une fois que la direction se creuse les méninges pour justifier ce nouveau « scandale »… !!! Mais pour l’instant, si tu le permets, j’aimerais être un peu en intimité avec ma femme, t’es d’accord ? Merci ! Tiens, pendant ce temps, si tu pouvais faire prévenir le service d’étage qu’ils nous montent une solide collation avec une bonne boutanche de champ’ d’ici… deux ou trois heures, ce serait sympa de ta part !
Après l’effort, le réconfort et… les premières explications :
- Je t’écoute… ?
Ton gars Pierre de prendre l’air le plus détaché possible…
- Bah, fin de mission et retour de ton chevalier servant, ma chérie !
Patricia est une impulsive. Paradoxalement à sa nature plutôt réfléchie, il lui arrive de partir en « live » pour une peccadille. Là, je sais que c’est pour la forme, mais par respect pour la femme que j’aime, je décide de jouer le jeu.
- Merci Beaulieu ! J’suis sans nouvelles de toi depuis un bail et monsieur me la joue façon Roméo d’opérette en montant une opération digne d’une mauvaise série B, et aux frais de la princesse en plus !!!
Et moi, franchement faux-cul :
- Tu te plains de quoi au juste ? T’imagines même pas la négociation auprès du « patron » lui-même pour réaliser de quoi fêter dignement nos retrouvailles ! Là, c’est mesquin de ta part, si je peux me permettre !!! m***e, ça m’apprendra à vouloir toujours être trop gentil, pauvre con que je suis… !
Nous restons quelques instants à nous regarder en chien de faïence, le regard rempli de défiance. Qui allait céder le premier ? un ange passe – toujours le même, ce nœud ! – et… c’est le gars mézigue qui craque, n’y pouvant plus. Nous partons alors dans un gigantesque éclat de rire. Deux gosses, voilà ce que nous sommes. Si les gus après qui nous courons d’ordinaire nous voyaient en ce moment, la crédibilité y perdrait grandement, tu peux me croire !
Je me dois de t’avouer une chose : jamais encore de ma vie je n’avais été autant en osmose avec quelqu’un. Comble de l’ironie après toute cette merdouille dans laquelle j’ai dû patauger, ce quelqu’un était aussi devenu ma… maîtresse ! Tu avoueras que les méandres de la vie sont parfois bien tordus, non ? Cette mission était pour nous comme un juge de paix. Le président le savait et m’avait laissé le libre choix de refuser. Un truc en solo pour une période indéterminée avec une femme désirable au possible pouvant être envoyée à l’autre bout de la planète, c’était jouer avec le feu. Jamais encore nous n’avions été séparés et l’occase était trop belle de savoir. Le risque fait partie de ce que nous sommes. Tu sais, ce frisson de tutoyer la limite ? Allant même jusqu’à jouer notre couple dans l’unique but de resserrer encore cette étreinte qui nous lie elle et moi, si toute fois la chose est encore possible. Patricia, c’est moi et je suis Patricia. Nous sommes indissociables. C’est bizarre à dire mais… je ressens enfin auprès d’une femme ce que j’ai toujours cherché au guidon de ma bécane : cette quête de l’absolu à partager. Mais cette fois c’est avec un être de chair et de sang et la donne est toute différente. Jusqu’ici je n’avais pas encore compris pourquoi le destin s’était acharné à tout détruire sur son passage, à présent je sais : c’était pour mieux me faire apprécier ces instants présents, me faire comprendre que j’étais destiné à devenir un sacré veinard, un privilégié de la vie et ça, j’en ai pleinement conscience !
Nous n’avons pas évoqué le boulot, ça fait partie du jeu : dans ce job, moins on implique de monde et plus on a de chances de rester vivant. La discrétion est la qualité première qui nous est demandée et c’est aussi valable entre nous deux. Même si je brûle d’envie de savoir ce qu’elle a pu faire pendant tout ce temps - tout comme elle je présume - il est hors de question que l’un de nous pose la moindre question à ce sujet car au-delà de nos vies, nous devons aussi veiller à la sécurité de l’Etat…
Bon, c’est pas tout ça, mais… j’ai comme une petite faim, moi !
On toque à la lourde : certainement le garçon d’étage, parfait ! Aller, juste le temps de remonter les draps – à oilpé, dans un tel endroit, c’est limite, non ? – et je « Oui, entrez ? »
Drôle de look, le garçon d’étage ! Un Quidam en costard / cravetouze de chez « J’ai du fric », la quarantaine élégante, c’est à dire gras du bide, dégarni du bocal et mou du genou. On sent l’homme d’inaction, habitué à tout faire faire par les autres. L’antithèse d’un mec comme moi, par exemple…
Je suis un garçon bien élevé, courtois et plutôt sympathique, t’es d’accord avec moi ? Mais là, j’avoue n’apprécier que modérément cette intrusion dans « mon » intimité, surtout que personne n’est au parfum de notre présence ici. J’espère pour lui qu’il s’est simplement trompé de chambre et va nous présenter ses plus plates excuses ! Dans un palace, au prix que paye le contribuable, c’est un minimum, non ? Do not disturb, vont entendre causer du pays à la réception, tu peux me faire confiance !
Un regard vers Pat’ me signifie qu’elle semble du même avis que son fringant chevalier servant.
- Commandant Beaulieu, je présume ?
Vlan ! Là, t’es partagé entre l’effet de surprise et la soudaine envie de lui balancer ton 43 en travers de la tronche ! Mais l’être humain est curieux de nature. Et pour une surprise…
- En personne. Mais comme vous le voyez, je ne suis pas très disposé à une entrevue, ayant d’autres occupations à vaquer ainsi que vous le constatez ! Une question ou deux avant de vous signifier la porte : comment connaissez-vous mon nom et ma présence ici, monsieur je ne sais pas qui vous êtes ?
Patricia ne dis rien. Elle se place en candide, savourant une scène qui a l’air de l’amuser. Faut avouer que dans le genre pas banal, on donne souvent, mais là… Juste un petit sourire, une main posée sur le drap cachant tant bien que mal sa superbe anatomie, elle attend visiblement la suite.
- Excusez-moi, commandant, je manque à tous mes devoirs ! Archibald de la Mornepatte, comte du duché du Luxembourg et ami personnel de votre président. C’est lui qui m’a conseillé de m’adresser directement à vous pour une affaire un peu délicate.
Ben voyons…
- Je suis aussi le président directeur général de la société d’armement Mornepatte, que je n’aurais pas l’outrecuidance de vous présenter ?
Tu parles ! Cette boite, basée en Belgique, fournie les trois quarts de l’Europe en instruments de toutes sortes destinés à faire avaler le bulletin de naissance et autres jouets à amuser le soldat en mal d’action entre deux parties de tarot. Tout de suite, le type en face de moi me paraît beaucoup moins sympathique… Si porter un flingue et l’utiliser est devenu pour moi une chose aussi naturelle que d’enfiler ma femme voire un caleçon, j’ai jamais apprécié les gus qui font commerce de ces truc là, ça non alors ! Paradoxal ton gars Beaulieu ? Bah, au point où j’en suis, c’est pas à mon age que je vais changer quoi que ce soit, non ?
Je cogite très vite. Si un type comac est ici, c’est pas pour me demander de retrouver le chien de sa belle-fille. Et le fait de s’adresser à un français alors qu’il a à sa disposition tout un gouvernement au moins aussi efficace que le notre prouve que l’affaire qui l’amène à moi est certainement d’une gravité extrême tout en demandant une discrétion absolue : je ne suis pas dans ce genre de taf depuis lulure mais j’ai la faculté d’apprendre très vite. Un regard vers Pat’ me renseigne sur le fait que nous sommes visiblement sur la même longueur d’onde. Comme ce gus est là sur les instructions du Grand Taulier, je me dois au moins d’écouter ce qu’il a à dire !
Je soupire…
- Bon, très bien ! Veillez nous attendre au grand salon du bas, le temps que ma partenaire et moi soyons présentables. Mais je ne vous ai pas présenté mademoiselle le commissaire principal Patricia Leblond ?
Tu verrais la tronche du type de la Cuisse Molle mâtant soudain le commissaire pré-cité ! On dirait qu’il vient de découvrir la huitième merveille du monde ( y a de ça, c’est vrai ! ), ce qui est flatteur pour mézigue et la première intéressée en question. Quoi que ces types de la « Haute » sont souvent des refoulés du paf, rapport à leur statut social qui les castrent dès leur venue sur terre : chez ces gens là, monsieur, s’adonner aux plaisirs de la chair s’est se rabaisser au rang du peuple composé d’imbéciles animaux tout juste bons à être commandés. Un être supérieur n’a pas besoin de ça ! Mais avant d’être supérieur il est d’abord un humain comme toi et moi. Mais lui est un frustré. Dans ce cas précis, deux solutions s’offrent à lui : ravaler ce qu’il est et se venger de l’espèce inférieure en se comportant comme le dernier des connards ( facile pour lui ) où devenir un pervers comme ceux fréquentant les clubs pour refoulés sexuels, ces endroits réservés à la High Society où le champagne se déguste sur la partie intime d’une pauvre fille qui a fait don de sa personne pour l’illusoire espoir d’un avenir meilleur dans un monde… qui ne l’acceptera jamais qu’en position horizontale, cette niaise !
Mais je m’égare…
Donc Patoune Flasque, qui est un monsieur très bien élevé, s’esquive très rapidement. Me voilà seulabre avec Pat’.
- Dis-moi, beauté divine, c’est toujours comac dans le taf ? C’est pas possible d’avoir quelques jours de vacances avec ma femme sans courir après les méchants ???
Faut dire que depuis que nous sommes ensemble, nos moments d’intimité se comptent sur les doigts de la main d’un manchot. Ce boulot nous demande une dispo permanente. Bon, bien souvent les missions se font en duo, mais ça fait de nous deux simples partenaires et la nuance est d’importance ! Oui je sais, on peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière qui va avec, ça serait trop beau ! J’avoue qu’il y a eu de grands moments dans nos lointaines contrées sauvages, mais au prix d’un boulot vraiment envahissant. Veiller aux petits tracas du président de la raie publique, je le redis, c’est un sacerdoce ( à moëlle ? ) !
Pat souffle.
- J’avoue que ces derniers temps, on a pas mal donné, mon chéri !
Tu parles…
- Bon, et t’en penses quoi de ce zig ?
Elle me regarde avec un petit sourire ironique.
- Tu as toi-même répondu en lui demandant de nous attendre en bas. Et si tu m’as demandé ça pour te dédouaner en me laissant seule la responsabilité d’esquiver, c’est raté ! De toute façon t’es plus le genre d’homme capable de décompresser, te faut de l’action par perfusion le cas échéant. Pierre, même si tu refuses de l’admettre, ce boulot et ton passé ont fait de toi un type qui a besoin en permanence d’être sur le fil du rasoir, tout comme moi ! Le Grand Nord c’est juste une soupape de sécurité pour lâcher le trop plein et tu le sais très bien au fond de toi. Puis tu nous imagines vivre comme des quidams ordinaires ? Non merci, je ne nous donne même pas un an ainsi ! C’est ce boulot qui nous a collé dans les bras l’un de l’autre et il fait partie de nous. Fin de l’aparté ! Bon, grouille et tourne la poignée, Beaulieu, faut jamais faire attendre un pote du Taulier…
Encore une fois, elle a raison ! Tu peux oublier ce que j’ai écrit plus haut. Ha, les femmes…, on est vraiment des gosses à coté d’elles…
Vrai que j’ai maintenant du mal à passer ne serait-ce qu’une journée à me laisser aller. Même pour un coup de moto ! Fini les longues virées à aligner des bornes, maintenant la bécane c’est… gaz en grand, à tutoyer la limite en permanence, comme quand j’étais môme. Pourtant, s’il y a un art dans lequel je n’ai plus rien à me prouver, c’est bien dans celui de jouer du poignet droit le genou au sol. Alors oui j’ai changé, oui j’aime ce job autant que ma femme et cette nouvelle façon de vivre, même si parfois je râle. Mais ça, c’est dans ma nature…