Tout vient à point à qui sait attendre...
Début 90, je bavais devant les side cars attelés à des trails. En particulier, SIDE BIKE avait présenté un side articulable, le Toro, qui permettait de dételler à loisir puisque ne nécessitant pas de renforts ni fourche à balancier. Présenté comme la méhari du side car, il en a été vendu plein attelés sur des 600 XTE sous différentes formes, et sur 850 TDM.
Au Salon de la Moto de Paris et de Milan, cependant, la présentation du Toro mettait en scène deux SuperTénéré, qui n'ont par la suite plus jamais été proposées par Side Bike. Dommage.
En 96, j'achète mon premier (vrai) side, que j'ai toujours, et je rencontre un gars qui roule avec une de ces Super Ténéré. On sympathise, il me parle par la suite de vendre son side, mais l'affaire ne fut pas faite. Je l'ai ensuite perdu de vue.
Le mois dernier, je passe chez un copain, Francky Side Bike qui a ouvert un magasin consacré aux side car à Chambéry. On cause de tout et de rien, et il m'apprend qu'il va mettre en vente un Toro attelé à ...une SuperTénéré. :yess: :yess: C'est celle-là!
L'état de la moto est lamentable, restée quelques années dans un garage dont le toit était percé...recouverte de feuilles, branches, déjections diverses.
J'ai dit que je réfléchissais...pis j'ai pas vraiment réfléchi longtemps en fait. Hop, on embarque.
Direction l'atelier, ablation du Toro pour pouvoir poser la Super Ténéré sur la table, et état des lieux:
Bon. La première chose à faire, c'est d'acheter un aspirateur industriel pour découvrir quelle moto se cache sous la m***e...
Ensuite, remise en route: dépose et nettoyage des carbus, changement des filtres, des fluides, des bougies, dépose de l'embrayage dont les disques étaient restés collés et les ressorts étaient avachis, réfection du freinage avant , MC et étriers.
. L'habillage est dégueu, un côté est cassé et réparé au Gaffer, le tout est recouvert d'une bonne couche de crasse. La doublure du tapis de réservoir s'est même incrustée dans la peinture de ce dernier .C'est pas une grosse perte étant donné l'état de l'intérieur:
J'ai juste rénové les robinets, mais je vais même pas chercher à passer de la résine, il y en aura pour plus cher que de racheter un bidon!
Une batterie neuve, de l'essence, quelques contretemps et désagréments plus tard: Braaam, la XTZ démarre, freine, débraye, plus qu'à y coller le Toro:
Et à entrer dans l'arène!
Aqui llega El Jibetes, qui, revêtu de son habit de lumière (ma combi de pluie d'hiver rétroréfléchissante, parce qu'histoire de rajouter du grandiose à l'histoire, il se met à neiger, un 27 Avril...) va combattre et terrasser la bête.
La première passe consiste à sortir l'attelage du garage en marche arrière, ce qui permet quelques contorsions propices à l'échauffement avant d'entamer le combat proprement dit.
Tout est paré, je m'élance sur une petite route vicinale, histoire de tester les réactions de la bête: elle ne semble pas vicieuse, juste un peu étrange...
Allez, jouez mariachis, tremblez sous vos ombrelles, duègnes: j'attaque la route, la vraie.
Braop, broap, la Superté tracte le Toro presque sans s'en apercevoir. J'avais déjà essayé cet attelage, c'est bizarre, je ne retrouve pas les sensations. J'ai du mal à définir l'encombrement du truc, surtout dans les virages, vu qu'il varie en fonction du déport du side par rapport au point de contact de la roue.
Bon, je quitte la nationale pour une petite route plus tranquille, reste tanké derrière un camping car qui insiste pour que je passe devant lui, sans doute curieux de découvrir le verso de mon recto. Il freine dans l'intention de me laisser le doubler, ya pas la place, je freine derrière lui, la roue du side mord sur un creux au bord de la route
JC Perrin avançait comme argument de vente que la conduite du Toro était très intuitive: et de fait, c'est vrai. J'ai eu l'intuition que j'allais finir dans le fossé, et bin il m'a suffit de rien faire pour y aller directement.
Autre point fort de l'argumentaire: les capacités de tout terrain du Toro: un side normalement constitué part tout de suite en tonneaux lorsque tu mords dans le fossé. Là, non. La roue du panier y descend, tirant un peu le tout, il suffit de remettre du gaz pour que l'ensemble remonte sur la route, très élégamment, comme le torero esquive une charge en virevoltant sur lui même...
Du coup, désinvolte, j'ai joué le mec qui s'arrête pour contempler le paysage, et le conducteur du camping car qui s'était arrêté pour photographier ma gamelle semble s'être laissé prendre à la feinte: il est reparti déçu.
Quelques dizaines de metres plus loin, je croise ma première voiture, en ligne droite. Objectivement, il y a de la place pour 3. Mais je ralentis, et au moment ou la voiture arrive à ma hauteur, le Toro décide de retourner s'échouer dans le fossé de la même façon...et d'en ressortir tout aussi facilement, virevoltant avec aisance sous le regard terrifier de la conductrice récemment rencontrée qui, warnings allumés, se demande comment elle a bien pu percuter cette moto avec un buggy à une roue accroché à côté...
Stop, ça suffit pour un premier essai: je rentre sur la pointe des pneus, difficile de se concentrer sur le regard directionnel avec les flocons qui émaillent la visière et la circulation assez chargée, je réessayerai dans de meilleurs conditions.
Je quitte l'arène sous les sifflets, sans oreille ni queue...
A vrai dire, je sais pas trop comment j'ai géré le truc. Ni comment je l'ai provoqué, ni comment je m'en suis sorti: mais le fait est que je me suis pas fait mal. A mieux y réfléchir, je crois que c'est le fait de passer d'une vitesse de direction en mode contrebraquage à une vitesse plus lente vers un mode de direction directe qui provoque ce comportement erratique.
Ce truc est totalement censuré à conduire.
J'adore.
Le précédent propriétaire m'avait prévenu au téléphone: "heu, la tenue de route c'est bizarre tout de même, hein, tu feras gaffe...j'avais contacté Side Bike, il m'avaient dit que c'était pour ça qu'ils n'avaient plus attelé de SuperTénéré ensuite!"
A mieux y regarder, le chassis est différent des autres Toro, avec en particulier un ancrage de la biellette supérieure pris dans l'armature interne du nez du side car. Ca viendrait de là?
Bien. Je vais voir si c'est une question de réglages seulement, ou d'habitude à prendre. Parce que les TDM n'avaient pas suscité d'inquiétudes particulières... Mais j'avoue que j'ai du mal à me débarrasser des réflexes de sidecariste sur cet engin, la flexibilité de l'attelage semble imposer une flexibilité cognitive de son pilote à la hauteur.
Si je ne m'y fais pas, je vire le Toro et je lui colle le DJ Aramis en attelage traditionnel rigide...